dimanche 9 septembre 2012

Le culte du sport


Première partie : synthèse (/40 points) :
Vous rédigerez une synthèse concise, objective et ordonnée des documents suivants :
1. « Le sport, idéal démocratique ? », entretien avec Isabelle Queval, laviedesidees.fr.
2. Jean Giono, Les Terrasses de l’île d’Elbe, Gallimard, 1976.
3. Luc Ferry, « Le culte du sport, école de vertu ? », Le Figaro, 17 juin 2010.
4. François Rousseau, Dieux du stade 2011, www.stade.fr.

Deuxième partie : Ecriture personnelle (/20 points) :
Pensez-vous que le sport mérite le culte qui lui est fait dans notre société ?

Document 1 :

La Vie des Idées – Spectacle planétaire par excellence, plus encore peut-être que les Jeux Olympiques, la Coupe du Monde de Football capte l’attention des médias, constitue pour les grandes firmes l’occasion d’investissements et de profits conséquents et, ici ou là, détourne les opinions publiques des enjeux politiques ou économiques auxquels elles sont aujourd’hui confrontées. En un mot, la Coupe du Monde de Foot, est-ce encore du sport ?
Isabelle Queval – La formulation même de votre question pointe la nécessité de définir avant tout ce qu’on entend par « sport ». Car la Coupe du Monde de football n’incarne pas bien évidemment l’exhaustivité des significations de ce terme. Vous donnez ici en exemple un sport pratiqué à très haut niveau, qui est en outre le plus populaire, le plus universel, mais aussi l’un des plus professionnalisés. C’est pour cela que la Coupe du monde de football est l’un des emblèmes du sport-spectacle, avec ce que cela suppose d’enjeux économiques, politiques ou géopolitiques, le tout poussé jusqu’à ses limites les plus outrancières. Donc, oui, la Coupe du monde de football est bien du sport, à condition de dégager plusieurs niveaux de réflexion.
D’abord il est impératif de toujours bien distinguer entre le sport de haut niveau et le sport de masse, ou entre la compétition professionnelle, la compétition amateur et la compétition de loisirs, ou encore de trancher parmi les finalités qui peuvent être celles du sport d’élite, du sport-santé, de l’éducation physique scolaire, le tout étant souvent et indûment regroupé sous l’appellation « sport ». Or tout n’est pas sport – le jardinage ou la montée d’escaliers qui peuvent représenter des « exercices physiques » recommandés par la médecine n’en sont pas –, les sports eux-mêmes ont des finalités qui peuvent varier à l’intérieur d’une même discipline, par exemple selon l’intensité de l’entraînement. Enfin le sport de haut niveau s’est constitué à partir des années 1960-1970 une sphère propre, avec ses codes, son économie, ses modalités de reconnaissance et ses fameuses « dérives » – argent, dopage –, souvent vilipendées.
De là un second niveau de réflexion. Le sport de haut niveau est par essence recherche du dépassement de soi, ce qui change la nature de l’activité. Tout est optimisé, – matériel, matériaux, science des entraînements et science médicale, diététique, psychologie et dopage – pour accroître sans limitation la performance. Dans le même temps, la médiatisation du sport devenu sport-spectacle dans les années 1970, les flux financiers que cela a engendrés, les enjeux politiques qui se sont amplifiés, ont contribué à faire du sport de haut niveau un laboratoire expérimental à différents titres (médical, économique et social). C’est là sans doute son intérêt premier : le sport nous parle de la société, de l’amélioration du corps humain, de la technicisation de l’homme, etc. Le sport en général, le football en particulier. Car un sport planétaire, un sport qui se pratique dans toutes les couches de population, sur les terrains, dans la rue, un sport dont les champions sont des stars surpayées érigées en icônes et qui suscite de tels processus d’identification de la part du public ne peut être isolé de la société et de ses problèmes (la violence, le racisme, les contrecoups de la crise économique etc.). Par là s’effondre sans doute l’idée, plus exactement le mythe d’une contre-société vertueuse que le sport incarnerait, d’un idéal de la démocratie mis à mal par les excès du football et de ses coulisses. Dans le sport comme ailleurs dans la société – mais il faudrait pour les différencier analyser très spécifiquement le statut de la règle – existent la triche, la corruption, la violence, le dopage, etc.

« Le sport, idéal démocratique ? », entretien avec Isabelle Queval, laviedesidees.fr.


Document 2 :

Le sport.
Je suis contre. Je suis contre parce qu’il y a un ministre des Sports et qu’il n’y a pas de ministre du Bonheur (on n’a pas fini de m’entendre parler du bonheur, qui est le seul but raisonnable de l’existence). Quant au sport, qui a besoin d’un ministre (pour un tas de raisons, d’ailleurs, qui n’ont rien a voir avec le sport), voilà ce qui se passe : quarante mille personnes s’asseoient sur les gradins d’un stade et vingt-deux types tapent du pied dans un ballon. Ajoutons suivant les régions un demi-million de gens qui jouent au concours de pronostics ou au totocalcio1, et vous avez ce qu’on appelle le sport. C’est un spectacle, un jeu, une combine, on dit aussi une profession : il y a les professionnels et les amateurs. Professionnels et amateurs ne sont jamais que vingt-deux ou vingt-six au maximum ; les sportifs qui sont assis sur les gradins, avec des saucissons, des canettes de bière, des banderoles, des porte-voix et des nerfs sont quarante, cinquante ou cent mille ; on rêve de stades d’un million de places dans des pays où il manque cent mille lits dans les hôpitaux, et vous pouvez parier à coup sûr que le stade finira par être construit et que les malades continueront à ne pas être soignés comme il faut par manque de place. Le sport est sacré ; or c’est la plus belle escroquerie des temps modernes. Il n’est pas vrai que ce soit la santé, il n’est pas vrai que ce soit la beauté, il n’est pas vrai que ce soit la vertu, il n’est pas vrai que ce soit l’équilibre, il n’est pas vrai que ce soit le signe de la civilisation, de la race forte ou de quoi que ce soit d’honorable et de logique. […]
À une époque où on ne faisait pas de sport, on montait au mont Blanc par des voies non frayées en chapeau gibus2 et bottines à boutons ; les grandes expéditions de sportifs qui vont soi-disant conquérir les Everest ne s’élèveraient pas plus haut que la tour Eiffel, s’ils n’étaient aidés, et presque portés par les indigènes du pays qui ne sont pas du tout des sportifs. Quand Jazy court, en France, en Belgique, en Suède, en U.R.S.S., où vous voudrez, n’importe où, si ça lui fait plaisir de courir, pourquoi pas ? S’il est agréable à cent mille ou deux cent mille personnes de le regarder courir, pourquoi pas ? Mais qu’on n’en fasse pas une église, car qu’est-ce que c’est ? C’est un homme qui court ; et qu’est-ce que ça prouve ? Absolument rien. Quand un tel arrive premier en haut de l’Aubisque (3), est-ce que ça a changé grand-chose à la marche du monde ? Que certains soient friands de ce spectacle, encore une fois pourquoi pas ? Ça ne me gêne pas. Ce qui me gêne, c’est quand vous me dites qu’il faut que nous arrivions tous premier en haut de l’Aubisque sous peine de perdre notre rang dans la hiérarchie des nations. Ce qui me gêne, c’est quand, pour atteindre soi-disant ce but ridicule, nous négligeons le véritable travail de l’homme. Je suis bien content qu’un tel ou une telle «réalise un temps remarquable» (pour parler comme un sportif) dans la brasse papillon, voilà à mon avis de quoi réjouir une fin d’après-midi pour qui a réalisé cet exploit, mais de là à pavoiser les bâtiments publics, il y a loin.

1. totocalcio : loto sportif italien. 2. chapeau gibus : chapeau haut de forme qui peut s’aplatir. 3. l’Aubisque : col des Pyrénées.

Jean Giono, Les Terrasses de l’île d’Elbe, Gallimard, 1976.

Document 3 :

C'est devenu un leitmotiv, un véritable pont aux ânes¹ : le sport, pétri de valeurs éthiques, constituerait un modèle pour la jeunesse. Il serait même urgent de l'introduire davantage à l'école, par exemple l'après-midi, sur le modèle qu'on prête à l'Allemagne. L'esprit d'équipe, le souci du collectif, l'égalité des chances, le dépassement de soi, le fair-play qui anime les sportifs (?) pourraient faire merveille en lieu et place d'une instruction civique défaillante, incapable de contrer cette fameuse « montée de l'individualisme » dont on nous rebat les oreilles à jet continu. Quant à ceux qui n'aiment pas le foot, leur cas relève clairement de la pathologie sociale : ce sont des bourgeois hostiles aux fêtes populaires, des adeptes de ce que Bourdieu nommait la « distinction », des partisans de la ségrégation sociale qui laissent le ballon rond aux classes inférieures comme ils leur abandonnent l'accordéon, le mousseux et le pâté. Le problème, c'est que presque tout est faux dans ce discours lénifiant. D'abord sur le plan sociologique. Depuis des décennies maintenant, rien n'est plus chic ni mieux porté dans les « couches supérieures » que de crier haut et fort son amour inconditionnel du foot ou du rugby - le summum étant, si possible, de parvenir à se faire inviter à la radio ou à la télévision pour commenter un match. Succès d'estime garanti. Politiques, chefs d'entreprise et intellectuels s'y précipitent, prenant un soin émouvant à faire connaître urbi et orbi leur passion, en effet, « populaire ».Sur le plan éthique, le culte du sport qui envahit nos sociétés jusqu'au délire, est plus problématique encore. Car si l'on y réfléchit objectivement, rien n'est moins clairement moral que la réussite sportive. Quoi qu'on en dise pour faire passer la pilule, le talent y joue un rôle infiniment plus important que le mérite. Les dons naturels sont, à l'évidence, l'ingrédient premier, indispensable à la fabrique du champion. Sans eux, tout le travail du monde ne suffira pas, l'être peu doué naturellement n'ayant aucune chance de s'élever vers les sommets par la seule vertu d'un exercice laborieux. Or nul n'est responsable de son talent : il tombe sur les humains comme la pluie, sur les bons comme sur les méchants. En soi, il n'a rien de moral. La preuve ? Tous les dons naturels, sans exception aucune - la beauté, la force, l'intelligence, la mémoire, l'adresse, etc. -, peuvent être mis indifféremment au service du bien ou du mal - ce qui suffit à prouver que la valeur éthique qu'on leur attribue à tort ne leur est pas inhérente mais dépend entièrement de l'usage qu'on en fait. Au niveau politique, le sport n'est guère plus édifiant : une réussite sociale fulgurante mais éphémère, une notoriété proprement insensée, des sommes d'argent aussi hallucinantes que déconnectées de mérites réels, tout cela donne à la jeunesse un idéal qui, pour être en effet celui de la société dominante, n'en est pas moins au plus haut point préoccupant. D'autant que l'objectif est aux antipodes de la culture du livre dont l'école est, en principe, le dernier bastion. L'écrit ne tient ici aucune part, tandis que les écrans, y compris publicitaires, sont omniprésents. Comme le montre Robert Redeker, les valeurs qui animent les compétitions modernes, avec leur fameux « plus vite, plus fort, plus haut », ce culte infini de la performance, cette vénération pour la concurrence égale et libre sont avant tout celles du « toujours plus » ultralibéral. Rien n'y renvoie à ce sens de la limite, voire de l'humilité, qu'implique toute conduite morale. Pas de malentendu, comme tout le monde ou presque, j'aime le sport. (…) Pire, je l'avoue, j'ai regardé en l998 les matchs de l'équipe de France avec bonheur. Cela pour dire que ce n'est pas le sport lui-même qui est ici en cause, mais le cirque indécent qu'on fait autour. Ribéry ou Henry sont peut-être de gentils garçons, mais ils ne sont ni Jésus, ni Galilée, ni de Gaulle, ni Hugo. Ils n'ont pas inventé la pénicilline, ni même l'eau chaude. En faire des demi-dieux aux yeux de millions d'enfants est aussi absurde que nuisible à leur éducation.
1. pont aux ânes : évidence, chose facile.

Luc Ferry, « Le culte du sport, école de vertu ? », Le Figaro, 17 juin 2010.

Document 4 :


 François Rousseau, Dieux du stade 2011, www.stade.fr

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